"Elle vit avec moi depuis un peu plus d'un mois maintenant. Au début j'ai essayé d'instaurer des lois, mais elle s'en était fixées avant même que je n'y pense moi. Elle ne fait jamais rien de trop, elle fait ce qu'on lui demande, ce qui est nécessaire, elle fait ce qu'elle veut car, comme elle fait ce que je lui demande, je n'ai pas de raison de la priver de quelque chose. Et puis, elle ne fait rien de bien méchant, et ce n'est qu'une expression car, le fait est, qu'elle ne fait aucune bêtise. Elle ne dit jamais de mots de travers, elle a même un langage très châtier que j'avoue avoir du mal à comprendre quelque fois, et quand elle voit que je ne comprends pas, elle m'explique sereinement. Elle s'exprime dans une manière très bourgeoise, elle parlerait presque comme au siècle dernier. Elle a de très bonne manière, se tient toujours droite, la tête haute sans être dédaigneuse, elle est très soignée et ne se plaint jamais de rien.
Pourtant...
Elle ne rit jamais, ne sourit qu'occasionnellement et d'une manière très retenue. Mais je l'ai vu avec ses amis, il semblerait qu'il n'y a qu'avec moi qu'elle ne sourit jamais, où alors c'est que je n'ai pas autant d'humour que je le pensais. Sous ses airs de maîtresse de maison, de grande dame, j'avoue qu'à des moments, elle me fait froid dans le dos... Elle a l'air d'être plusieurs personne à la fois, une jeune fille de notre siècle et une gouvernante du siècle dernier, austère et sévère, le genre de femme dont tout les enfants ont peur. Je ne suis pourtant plus un enfant, mais quand je la vois arriver, les mains serrées l'une dans l'autre, la tête haute, ses cheveux réunis en chignon ou queue de cheval... J'ai l'impression de voir comme un spectre voler vers moi, dans ses grandes robes noires, on ne voit pas ses pieds, et quand elle marche souvent... On a l'impression qu'elle ne touche pas le sol. Quelque autre fois, elle se retrouve près de moi alors que je n'avais pas entendu le moindre son dans la pièce.
Et puis...
Tu vas croire que je perds la tête mais... Quelque fois, j'ai l'impression qu'elle parle à des gens, quand je suis là, elle envoie des œillades à l'air autour de moi, comme si elle avait une complicité certaine avec quelqu'un qui se trouverait près de moi. Je l'ai vu une fois, aucun son ne sortait de sa gorge mais, elle remuait les lèvres, faisait des gestes, souriait et riait même, comme si elle était en conversation avec un ami. Mais elle était seule.

Je te dépeins là un portrait sombre de ta fille, j'en suis désolé. C'est une fille très bien, mais j'avoue... Elle me fait peur.

Amicalement
Hugues"

Pourquoi t'es-tu cru obligé de lui dire tout cela ? Ne crois-tu pas qu'avec tout ce qu'elle vit déjà, elle n'avait pas le droit au repos qu'elle mérite/prend/celui dont elle abuse quand elle a trop de responsabilités qui lui tombent dessus ?
Heureusement que j'ai intercepté ta lettre, Hugues, sinon j'aurais été obligé d'aller la rejoindre.

J'aime l'image de la gouvernante. Elle est si loin de moi.
Si tu savais, Hugues, je ne suis pas cette fille sage que tu décris dans ton premier paragraphe... Par contre... .Les ombres. rôdent autour de toi, oui, elles s'esclaffent devant ta misérable vie, surtout quand tu essaye de te persuader qu'il y a pire/mieux comme vie.